Historique de PORT MIOU
La résurgence de Port-Miou est connue des pécheurs de temps immémorial. Elle est mentionnée par le Comte de Massigli, dans Histoire physique de la mer (Amsterdam, 1720). Au début du XXe siècle, Martel est chargé par le Ministère de l’agriculture, d’étudier une possibilité de captage. Mais, comme nous l’avons vu dans l’onglet précédent, pendant vingt ans il niera l’existence de la prétendue source de Port Miou (France Ignorée, sud-est de la France, p. 107).
Il faut attendre septembre 1953 pour que les plongeurs-spéléos du clan «Éole » de Toulon effectuent une première reconnaissance en plongée du porche immergé de la grotte de PORT MIOU jusqu’à l’aplomb de l’aven qui s’ouvre en bordure du chemin menant à la calanque de Port Pin.
En avril 1956, une équipe formée de GALERNE, l’ingénieur REBIKOFF, le vulcanologue TAZIEF et le professeur BARNIER poursuit l’exploration de la galerie en amont de l’aven sur 180m à partir du porche dans la calanque. A la même époque une forte équipe de l’O.F.R.S atteint 240 m.
Le 28 mars 1960, le Biologiste américain Conrad LIMBAUGH trouve la mort en explorant la galerie. dans des circonstances inexpliquées. Les spéléos du CAF de Marseille participent au secours en équipant l’aven d’un treuil à moteur. Les plongeurs de la SOGETRAM découvrent le corps de l’américain à 100m en amont de l’aven. Apparemment ses bouteilles d’air sont vides et l’on suppose qu’il s’est trompé de direction, croyant sortir alors qu’il filait vers l’amont.
A l‘automne 1964, les plongeurs spéléos FABRE, LAGOS, MARTIN, NEGREL et TOULOUMDJIAN explorent la galerie sur 320 m. En 1966 Cl. TOULOUMDJIAN, au cours d’une plongée solitaire, atteint 350 m.
En 1968, une équipe du Groupe d’Étude et de Plongée Souterraine (GEPS) comprenant J.-L. VERNETTE, J. ARMAND, M. HEGELE, A. LARUE, P. REBOUL, B. SAPIN, J.L SCOTTO , Cl. TOULOUMDJIAN et L. VAILLANT reprend l’exploration vers l’amont avec l’aide de H. PORTAIL de la Société « HIPPOCAMPE » et de L. POTIE de la Société des Eaux de Marseille (SEM). Ils ont comme objectifs complémentaires, l’installation d’un fil d’Ariane, l’aménagement de relais intermédiaires pour la sécurité des pointes et la topographie du conduit sous-marin. Cette expédition commence le 13 août 1968 par l’installation d’un fil d’Ariane et se termine le 13 octobre après avoir découvert et aménagé deux cloches relais à 320 m et à 530 m, levé la topographie du conduit et poussé l’exploration jusqu’à 870 m de l’entrée pour une profondeur de 45 m.
En 1970, la Société des Eaux de Marseille, qui avait constitué dès 1968 avec le BRGM, le Syndicat de Recherche de Port Miou (SRPM), fait réaliser à l’initiative de L. POTIE, dans le vallon qui mène à la calanque de Port Pin, un puits artificiel de 45 m pour recouper la cloche 530 et y effectuer des essais de captage d’eau douce. Ce puits a servi à édifier à partir de 1972 un ouvrage en béton à faible densité reposant sur les sédiments du plancher de la galerie et jouant le rôle de barrage anti-sel. Jusqu’en 1976 des mesures de courantométrie et de salinité ont été effectuées à partir de cet ouvrage qui a été rehaussé jusqu’au toit de la galerie avec aménagement d’un déversoir de crue. Ces travaux ont permis d’abaisser le taux de salinité à 7g/l (30g/l pour l’eau de mer) en amont du barrage et de mesurer des débits moyens de l’ordre de 10 m3/s.
En septembre 1978 P. ROUSSET et Cl. TOULOUMDJIAN poursuivent l’exploration à partir du barrage et avec l’accord de la SEM. Le 23 9 78, ils atteignent 982 m, le lendemain J.-Cl. DOBRILLA et B. LEGER équipés de scooters sous marins atteignent 1165 m dans une immense galerie de 30m de large en moyenne pour 20m de hauteur. Le plafond est à –35m en moyenne avec deux passages à –40m et –39m, le plancher est à –55 m.
En 1981, au mois d’avril, B. LEGER effectue une plongée depuis la mer jusqu’à 1365m. Au mois de juin, une équipe Suisse du Groupe Alémanique de Plongées Souterraines et comprenant O. ISLER, Cl. MAGNIN et P. PERRACINI, progresse de 720 m en amont du terminus LEGER dans un conduit qui remonte jusqu’à –10 m à une immense coupole de plafond puis redescend à -22 m dans ce qui semble être un cul de sac à 2095 m de l’entrée.
Le 19 juillet B. LEGER plonge à nouveau et découvre la suite, qu’il nous décrit : « En faisant demi-tour la suite était découverte au point 1620 m depuis le barrage par –45m : une galerie d’où s’échappe un violent courant nous conduisait à –49m sur la lèvre d’un immense puits noyé où paroi opposée et fond étaient invisibles. Le 22 juillet nouvelle tentative qui nous permet de descendre à – 82 m d’un seul jet .A cet endroit, le puits s’évase et seul un éperon rocheux ressemblant à une proue de navire de gros tonnage est visible. Malgré des éclairages frontaux halogènes de 2×50 watts, le fond du puits est indiscernable et doit assurément dépasser la cote –100m.Terme à 2200m de l’entrée ; plongée de 5h20 dont 3h12 de décompression . »
1992. Après 11 ans d’interruption, dus probablement aux difficultés et aux dangers des plongées qui cumulent maintenant la longueur et la profondeur, les explorations vont reprendre. Nous voyons un renouvellement des plongeurs et, surtout, l’amélioration des techniques et du matériel.
Par courrier du 07.01.1992, le PDG de la SEM, B. DAUBERLIEU autorise les plongeurs souterrains de la FFESSM, sur demande de Cl. TOULOUMDJIAN, à utiliser les installations du puits artificiel de Port Pin pour reprendre les explorations dans le puits noyé terminal. Je suis chargé d’en assurer le contrôle. L’équipe comprend : P. BOLAGNO, C. MORE, M. RENAUD, F. BERNARD et M. DOUCHET, elle compte également : JP. IMBERT de la COMEX pour la mise au point des mélanges gazeux et des procédures de décompression et les plongeurs.
Le 6 juin Marc DOUCHET effectue une première tentative à –102 m pour se roder à l’infrastructure des plongées profondes, elle confirme que le fond se situe bien au delà du cap psychologique des 100 m. Le 27 septembre, deuxième tentative à –120 m, il aperçoit un fond de faille jonché de blocs et d’argile, durée de la plongée 8 heures et 45 minutes y compris la décompression. Le 11 Octobre, troisième tentative qu’il décrit ainsi: « Cent, cent dix, cent vingt mètres, voilà mon touret, je défais le nœud qui le retient dans le vide et je file sur une vingtaine de mètres. J’enregistre un maximum de renseignements techniques sur la topographie de la cavité. La faille orientée 300/120° semble remonter légèrement, j’amorce un virage à gauche, direction plein nord. Le puits se vrille et continue à descendre par crans successifs. Devant moi c’est le noir le puits est toujours géant, mes puissants éclairages (100 w) n’accrochent plus les parois. Pour poursuivre il faudra aller au minimum à –130 m. A 1660 m du barrage, je m’arrête à -123 m sur une lame d’érosion où j’amarre le fil d’Ariane. Temps de plongée : 6 minutes 30, je remonte aussitôt. Vers –100m, j’ai l’agréable sensation d’être presque à la maison. Pourtant la décompression reste à faire, une simple formalité de 7 heures et 15 minutes… »
1993. Lors d’une nouvelle tentative au mois de juin Marc DOUCHET atteindra la profondeur de –147 mètres Le fond du puits est atteint et donne perpendiculairement sur une galerie inclinée à 30°.
2005. Les plongeurs utilisent désormais des appareils recycleurs en circuit fermé. Les progrès sont stupéfiants et ouvrent de nouvelles possibilités aux plongées. Le 26 juin, Xavier MENISCUS, plongeur professionnel, soutenu par Jérôme MEYNIE et son équipe atteint la profondeur de 150 m.
Au mois de novembre, une nouvelle plongée de Jérôme MEYNIE équipé de recycleur. Permet d’atteindre la profondeur de –172 m à 2352 m de la calanque Les dimensions du puits seraient au minimum de 80m de diamètre !!!
En 2008, Jérôme MEYNIE, puis Xavier MENISCUS atteignent –178 m toujours à la base du puits.
En 2012, les 7 et 8 mai Xavier MENISCUS atteint –223 m au terme d’une plongée de 11h30 au total. La base des calcaires Urgoniens aurait été atteinte vers – 190 et, enfin, la galerie se poursuit horizontalement .Arrêt de la plongée dans une salle de 25m de diamètre. Nous verrons dans une page suivante les descriptions plus détaillées des plongeurs.
Et après ? Cela dépendra des possibilités offertes par l’utilisation des recycleurs et des capacités des plongeurs mais la cavité semble se prolonger et on peut penser que le creusement s’est poursuivi jusqu’à la base des calcaires urgoniens en suivant les régressions marines accompagnant les glaciations du quaternaire. Les dernières hypothèses en la matière attribuent une profondeur de –250 m.
Gérard Acquaviva, 10 mai 2012